Histoire de la chirurgie

Vouloir séparer l’histoire de la chirurgie de l’histoire de la médecine, voire de l’histoire de l’humanité n’aurait aucun sens. Les Hommes qui ont œuvré à cette histoire étaient ancrés dans leur époque. L’évolution de la façon de considérer les maladies dans la société explique en grande partie les évolutions médicales observées au cours des siècles.

Longtemps considérées comme une manifestation de la colère de Dieu, ou encore comme un envoûtement, les réponses à y apporter ne pouvaient être que religieuses ou magiques. Le développement de la façon de considérer la maladie sera le principal moteur de l’évolution de la médecine. Il faudra des siècles pour que la perception de la maladie change et que la médecine devienne une science.

Les maladies qui peuvent être traitées par la chirurgie font partie des « pathologies chirurgicales ». Dans les grandes lignes, elles regroupent les traumatismes, certaines infections, les tumeurs, les pathologies dégénératives et fonctionnelles et les malformations. Ces pathologies ont de tous temps existé. Il est donc fort probable que des actes manuels, tels que réduire des luxations articulaires, aient été effectués à des fins thérapeutiques depuis les premières heures de l’humanité. Cependant, le développement et l’utilisation de ces gestes ont longtemps été limités par de multiples facteurs et ce n’est finalement qu’en des temps bien plus proches de notre époque que se sont développées les disciplines chirurgicales telles que nous les connaissons aujourd’hui. Si au début de son développement, la chirurgie se présentait comme une discipline à part entière de la médecine (Préhistoire et Antiquité), certaines périodes de l’histoire (Moyen Âge) l’ont vu s’en éloigner et en être marginalisée. Cependant, la maitrise et le développement des connaissances médicales et chirurgicales les ont rapprochées (Temps modernes et Époque contemporaine). C’est certainement dans le courant du 19ème S. que les plus importantes découvertes médicales ayant contribué à l’essor de la chirurgie ont été faites. Forte de ces connaissances acquises, c’est à la fin du 19ème S. et au début du 20ème S. que va commencer à se développer la chirurgie « moderne » telle que nous la concevons aujourd’hui. De nombreux facteurs, à caractère médical et non médical, ont influencé son développement. La chirurgie est une discipline en perpétuelle évolution et ces dernières années l’ont vue encore se transformer de façon considérable.

Les peurs, croyances et tabous, qu’ils soient d’origine religieuse ou païenne, ont guidé les gestes des hommes à bien des occasions tout au long de l’humanité. Il fallait que l’écriture soit présente pour que la transmission du savoir puisse se faire de façon efficace. Durant l’Antiquité (qui a vu se développer l’écriture), le corps humain était considéré comme sacré et les dissections étaient interdites. Les maladies étaient considérées comme secondaires à des actions divines. Le caractère « tabou » des gestes invasifs sur le corps de son vivant, et le refus de voir réaliser des dissections sur les cadavres, ont fortement limité l’évolution des connaissances de l’anatomie humaine et de la physiopathologie des maladies. Les connaissances médicales en rapport avec la réalisation d’actes chirurgicaux ont longtemps été insuffisantes pour que des interventions chirurgicales importantes puissent être réalisées. En particulier les connaissances dans les disciplines suivantes :

  • L’anatomie : sa connaissance était fondamentale pour que la chirurgie puisse se développer. Sans ces connaissances anatomiques précises de l’architecture du corps humain, les interventions ne pouvaient dès lors porter sur les organes vitaux et étaient essentiellement limitées aux traitements des plaies et aux interventions sur les membres. L’évolution des connaissances anatomiques a été particulièrement lente durant le Moyen Âge. L’interdit de toute dissection anatomique y est bien entendu associé. Il y a eu des exceptions, notamment au début du 3ème S. av. J.-C. en Égypte à Alexandrie sous la dynastie des Ptoléméens. Les condamnés à mort étaient confiés à Hérophile et son disciple et futur rival : Erasistrate. Ils effectueront plus de 600 vivisections étant donné qu’à l’époque on considérait que les organes de cadavres avaient une conformation et une physiologie différentes de ceux des vivants. Tous deux d’origine grecque, ils n’ont pas hésité à s’installer en Égypte où ils fondèrent l’École de médecine d’Alexandrie. Très réputée à cette époque, elle va ensuite péricliter après l’interdiction de la dissection humaine qui était à l’origine des progrès qu’elle a apportés. Le droit Romain interdisait les dissections du corps humain. Les médecins tels que Claude Galien (129-201) se sont basés sur des dissections animales pour en déduire l’anatomie humaine. Postulant que l’anatomie était la même chez les animaux que chez l’homme, cela l’a mené à un certain nombre de conclusions erronées (dont celle de l’utérus bifide car observé chez la lapine). Le premier véritable anatomiste sera André Vésale qui en 1543 effectuera une dissection publique du corps de Karrer Jakob von Gebweiller (meurtrier de la ville de Bâle en Suisse). Il relèvera un certain nombre d’erreurs qu’avait fait Galien, ce qui lui attira bien des ennuis.

  • La physiologie : sa maîtrise était également fondamentale pour que la finalité de l’acte chirurgical puisse être justifiée. Les premières études qui ont été effectuées sur la physiologie humaine remontent à Hippocrate en Grèce en 420 av. J.-C. Claude Galien dans l’empire romain est le premier à réaliser des expériences animales pour étudier le fonctionnement de l’organisme. Cela fait de lui le fondateur de la physiologie expérimentale.
  • La circulation sanguine est restée incomprise pendant de longues années. Il faut se rappeler que la circulation sanguine n’a été découverte par William Harvey qu’en 1628.
  • La coagulation : sa connaissance était également incontournable pour que la chirurgie puisse prendre son essor. Bien que l’on observait de longue date la possibilité pour le sang de se coaguler, et que les travaux d’Andrew Buchanan (Glasgow, UK) en 1835 ont mis en évidence un élément spécifique du sang capable d’initier la coagulation (il s’agissait d’un élément identifié plus tard sous l’identité du facteur tissulaire), il a fallu attendre le 20ème S. pour que la compréhension physiopathologique de l’hémostase soit suffisante pour pouvoir entreprendre des interventions chirurgicales lourdes sans condamner le patient à des complications hémorragiques vitales.
  • L’analgésie : sa connaissance et son utilisation étaient également indispensables pour que la chirurgie puisse se développer. L’antalgie des patients a été un progrès considérable. Auparavant, les interventions chirurgicales entrainant des douleurs parfois importantes s’accompagnaient de réactions réflexes de défense ou d’évitement, ainsi que de réactions de choc parfois irréversibles pour les patients. Il a fallu attendre la fin du 19ème S. pour que des techniques évoluées d’anesthésie permettent de résoudre ces problèmes de douleurs et leurs conséquences.
  • L’asepsie, l’antisepsie et le traitement des infections : leur connaissance était incontournable pour que la chirurgie se développe. Les interventions chirurgicales avant la maitrise de ces trois éléments s’accompagnaient régulièrement de surinfection des sites opératoires (menant dans bon nombre de cas au décès du patient). C’est à la fin du 19ème S, suite à la découverte des microbes par Louis Pasteur, de l’asepsie par Ignace Semmelweis et de l’antisepsie par Joseph Lister, qu’une évolution considérable a été engendrée. Des connaissances plus appuyées sur l’immunité du corps humain et le développement de médicaments « antibiotiques » ont enfin permis de faire chuter la mortalité́ postopératoire de façon significative.