Histoire de la
médecine hyperbarre

C’est en 1662 avec I.N. Henshaw, ecclésiaste à Londres, qu’apparaissent les premières notions de médecine hyperbare. Henshaw avait pour souci de reproduire les modifications climatiques que subissent les patients lorsqu’ils se rendent en montagne (conditions hypobares) ou à la mer (conditions hyperbares). Henshaw comptait pouvoir soigner tant les pathologies aiguës que les pathologies chroniques par ces modifications de pression ambiante sur les patients.

Il dédiait les conditions hyperbares plutôt aux pathologies aiguës et les conditions hypobares aux pathologies chroniques. En vue de faire varier les pressions atmosphériques auxquelles étaient soumis les patients, Henshaw avait créé une chambre hermétique qu’il avait dénommée le « domicilium ». Les travaux de Henshaw sont malheureusement restés dans les oubliettes de la médecine étant donné le faible intérêt que portaient les médecins à l’époque aux effets de variation de pressions sur les patients.

L’événement suivant qui a marqué les découvertes vitales de la médecine hyperbare est certainement la découverte de l’oxygène.

Expériences démontrant l’influence de l’air sur le feu de Scheele

Matériel expérimental de Lavoisier

Conjointement mis en évidence par le suédois C.W. Scheele en 1772 (illustration de ses expériences) et le britannique J. Priestley, c’est à Lavoisier qu’il doit son nom. Effectivement, Antoine Lavoisier en 1777 lui attribue son nom dérivé du grec ancien. Lavoisier pensait que l’oxygène représentait la portion respirable de l’air et qu’il avait pour propriété de former des acides en se combinant avec la plupart des substances.

C’est en France au début du 19e siècle que la médecine hyperbare va à nouveau susciter l’intérêt. Sous l’impulsion de Junod, dont les résultats furent publiés en 1834 et Tabarie, qui publia les siens en 1840, apparaissent les premiers caissons hyperbares. Junod avait ainsi créé une sphère de deux mètres de diamètre dans laquelle la pression pouvait être augmentée entre 2 et 4 ATA.

Ils intitulèrent les séances auxquelles ils soumettaient les patients des bains d’air comprimé et les dédiaient essentiellement au statut de dénutrition, au rachitisme, à l’emphysème, ainsi qu’aux bronchites chroniques.

Chambre hyperbare de Tabarie

Matériel expérimental de Lavoisier

Très rapidement en France également apparurent les premières chambres hyperbares « portables » permettant de les déplacer et de traiter les patients près de chez eux. Avant leur apparition, bon nombre d’Américains se sont rendus en France pour y bénéficier des effets bénéfiques des milieux hyperbares.

En 1841, un autre français, Jacques Triger, allait décrire en primeur les conditions d’un séjour en hyperbarie. Il en déduira les bases physiologiques de la médecine hyperbare.

Quelques années auparavant, Triger, ingénieur de formation, travaillait sur le moyen d’atteindre des roches recouvertes par plusieurs mètres d’alluvions et d’eau. Après avoir lu de nombreux articles sur l’air comprimé, il eut l’idée de l’utiliser pour creuser sous l’eau. Il n’était pas le premier à y avoir pensé mais là où il fait figure de pionnier est dans l’invention du sas qui permet de passer des zones comprimées aux zones soumises à l’air libre. C’est l’application industrielle de ce sas qui allait permettre la mise au point de puits qui rendraient dès lors possible, après adaptation au milieu spécifique, de creuser des fondations, de mettre en place des piles de ponts et de creuser de nombreux tunnels. Son application fut à de multiples reprises reproduite et est toujours utilisée de nos jours. Elle est à la base de la construction de nombreux ponts durant la seconde moitié du 19èmeSiècle.

Chambre hyperbare de Tabarie

Matériel expérimental de Lavoisier

En 1854, c’est le physiologiste et homme politique français Paul Bert qui établit le premier le lien entre la survenue d’un barotraumatisme et une procédure de décompression trop rapide des hommes ayant été exposés à des pressions ambiantes élevées. Effectivement, le procédé Triger au milieu du 19e siècle était très largement utilisé et c’est à cette époque atteignant des profondeurs de plus en plus importantes de l’ordre de 40 à 60 mètres que furent rapportés les premiers accidents de travail chez les tubistes (noms donnés aux ouvriers travaillant dans les puits Triger).

Des accidents du même ordre ont par ailleurs été rapportés chez les scaphandriers lourds atteignant des profondeurs comparables aux 40 à 60 mètres des tubistes. Les puits Triger étant appelés «caissons », on dénomma ces accidents du travail « le mal des caissons ». Paul Bert objectiva chez ces travailleurs la survenue de bulles d’azote au niveau des vaisseaux ainsi qu’au niveau des tissus. En guise de prévention à la survenue de ces accidents, il préconisa des remontées plus lentes et en guise de traitement une recompression avec administration d’oxygène. C’est en 1878 que Paul Bert également définit les effets bénéfiques de l’oxygène concentré à 60 % à une pression de 1 ATA. Il décrit ces effets dans un article intitulé « La pression barométrique » dans lequel il définissait également une toxicité de l’oxygène lorsque ce gaz est administré aux hautes pressions. Il décrivit la neurotoxicité par la survenue de crises comiciales dans ces circonstances.

En 1879, un chirurgien français du nom de Fontaine construisit la première salle d’opération mobile qui pouvait être pressurisée. Cette pressurisation, par augmentation de la pression partielle en oxygène à laquelle était exposé le patient, avait pour but d’en augmenter son oxygénation. Il dédiait dès lors cette enceinte aux patients souffrant d’emphysème, de bronchopathie chronique obstructive ou d’anémie et devant subir des interventions chirurgicales. Il exposait également les patients souffrant de hernie à ces atmosphères hyperbares en vue d’en favoriser leur réduction. Fontaine pressurisait ses patients à une pression absolue de 2 ATA sans cependant d’indication bien définie de façon systématique.

Si c’est en France après le développement du procédé Triger que sont apparus les premiers maux des caissons chez les tubistes, bon nombre de ces incidents allaient par la suite se produire de par le monde suite à la très large utilisation de ce procédé dans le génie civil.

Chambre hyperbare de Tabarie

Matériel expérimental de Lavoisier

L’un des exemples les plus caricaturaux de ces maladies des tubistes a été observé dans la construction du pont suspendu de Brooklyn à New York aux Etats-Unis. Ce pont traversant l’East River avait pour but de rallier l’arrondissement de Brooklyn à l’île de Manhattan. Sa conception avait été attribuée à un cabinet d’architecture dirigé par John Auguste Roebling.

Ce cabinet d’architecture avait effectivement à son passif déjà la construction de plusieurs ponts suspendus de taille bien entendu plus modeste. Roebling fut sérieusement blessé au pied lors d’un accident survenu au début des travaux et il mourut deux semaines plus tard d’un tétanos. Son fils, Washington Roebling, lui succéda à la tête du chantier mais il fut victime d’un accident de décompression et resta physiquement lourdement handicapé. C’est par la suite des fenêtres d’un appartement qu’il acquit à proximité du chantier qu’il allait pouvoir en assurer la surveillance.

Chambre hyperbare de Tabarie

Matériel expérimental de Lavoisier

Sa femme Emily Warren Roebling assura le relais sur le chantier tout au long de la construction de ce pont long de 1825 mètres qui fut ouvert à la circulation le 24 mai 1883, soit 14 années après le début des travaux. Le procédé Triger fut largement utilisé pour la construction de ce pont avec une profondeur maximale atteinte de 35 mètres.

Il faut signaler que les remontées à l’époque se faisaient sans palier de décompression et que les accidents de type « mal des caissons » furent multiples et bien décrits mais non encore compris à l’époque. Le syndrome de décompression devient connu sous le nom de « grecian bends » ou courbette grecque en référence à une danse féminine à la mode à la fin du 19e siècle.

Effectivement, les individus touchés avaient généralement le dos voûté. La survenue de ces multiples accidents de décompression poussa en 1906 le gouvernement britannique à commander une étude auprès du physiologiste John Scott Haldane, connu à l’époque pour ses travaux concernant la respiration. Haldane a effectivement décrit une des propriétés de l’hémoglobine : sa désoxygénation du sang augmente sa capacité à transporter du dioxyde de carbone. Cette propriété a été intitulée l’effet Haldane. Inversement, le sang oxygéné présente une affinité réduite pour le dioxyde de carbone. Se basant sur la loi de Henry, Haldane établit une équation de décompression et en 1907 il fabriqua un appareil de décompression pour faciliter l’aide aux plongeurs profonds et établir des procédures de décompression pour des plongées à l’air allant jusqu’à 65 mètres.

Chambre hyperbare de Tabarie

Matériel expérimental de Lavoisier

Ses travaux servirent de base à l’établissement des tables de décompression mises en service par l’US Navy en 1912. La théorie de décompression de Haldane se basait sur un modèle à plusieurs compartiments. Chacun se définissant par sa période : les compartiments regroupent des ensembles de tissus qui saturent et désaturent de la même manière. Il existe des compartiments lents ainsi que des compartiments rapides : les compartiments rapides regroupent les tissus fortement irrigués par le sang selon Haldane. Ces compartiments arrivent plus vite à saturation. Haldane établit également les notions de saturation, sous-saturation et sur-saturation. Selon lui, il existe trois états de saturation par lesquels passent les plongeurs sous-marins lors de leur activité. La tendance globale étant toujours d’évoluer vers un état de saturation dépendant des conditions locales.

Une des chèvres de Haldane présentant un bend à l’antérieur gauche.

Publiée dans The Journal of Hygiene, Vol. 8, No. 3 (Jun., 1908), p 48.

Extraite de The Future of Diving: 100 Years of Haldane and Beyond

Précocement après l’avènement des résultats des travaux de Haldane survient la Première Guerre mondiale (1914-1918). A la fin de cette guerre l’Amérique connut une épidémie de grippe espagnole dévastatrice. Le docteur J. Orval Cunningham observa que la mortalité de la grippe était supérieure dans les contrées d’altitude et en déduisit qu’il y avait une influence du facteur barométrique. Cunningham traita par la technique hyperbare l’un de ses fortunés patients, Monsieur Henry H. Timken. Monsieur Timken était un patient urémique qui a bénéficié de la technique hyperbare dans son traitement et qui souhaita en remercier le docteur J. Orval Cunningham. Cunningham était à l’époque persuadé que le diabète et certains cancers étaient causés par des organismes vivants dont la croissance était inhibée par la présence d’oxygène. Ainsi, en accroissant l’oxygénation de ses patients ces organismes cessaient de se multiplier, voire même potentiellement en mouraient et la rémission du patient devait être observée. Pour pouvoir effectuer efficacement ces traitements Cunningham devait « séquestrer » ses patients dans des environnements hautement oxygénés durant de longues périodes alternant avec des périodes de pression atmosphérique normale.

En 1928, Monsieur Timken, riche industriel de Cleveland, fit construire pour Cunningham un hôpital hyperbare de six étages ressemblant à une sphère d’un petit peu moins de 20 mètres de diamètre.

Chambre hyperbare de Tabarie

Matériel expérimental de Lavoisier

Chaque étage comptait de l’ordre de 12 chambres et l’hôpital fonctionna durant 2 ans avant que la Local Medical Society le fit fermer vu le manque de preuves scientifiques évidentes et d’effets démontrés de ces techniques. Cunningham a été convoqué à des multiples reprises par le bureau des investigations de l’American Medical Association pour documenter sa démarche. Hormis un court article publié en 1927, il ne put documenter de façon positive l’apport de la médecine hyperbare. Alors que 900 tonnes d’acier avaient été utilisées pour construire cette sphère et qu’aucun luxe n’avait été épargné pour son aménagement, cet hôpital pouvant accueillir 40 patients allait petit à petit dépérir. En 1933, Cunningham, pressé par la crise économique, dut trouver un acquéreur. En l’absence de candidat acheteur, il remit l’institution à James Rand Junior qui l’acquit pour un demi-million de dollars le 28 septembre 1934. Rebaptisé institut d’oxygénothérapie d’Ohio, l’investissement n’eut malheureusement pas l’effet attractif souhaité sur les patients. En 1936, il change à nouveau de propriétaire qui abandonne les théories de l’oxygénothérapie et fit fonctionner cet hôpital comme un hôpital ordinaire. L’institut dut rapidement fermer suite à des problèmes financiers et fut vendu au diocèse catholique de Cleveland. Cette balle d’acier fut réquisitionnée par l’armée américaine le 31 mars 1942 pour 25 000 dollars. L’investissement initial était de 1 million de dollars !

Les premières preuves scientifiques de l’efficience de la médecine hyperbare furent apportées en 1957 par Boerema en chirurgie cardiaque et en 1961 par Brummel Kamp pour le traitement de la gangrène gazeuse. C’est également dans les années 1960 que se développèrent les plongées profondes en milieu militaire ainsi que de multiples plongées civiles dans le domaine de l’exploitation pétrolière pour les puits offshore. Le développement de ces pratiques mena à la création d’une spécialisation en médecine hyperbare ou encore appelée à ses débuts en « médecine de la marine ».